Giorno del Ricordo
Après la "Journée de la mémoire" de la semaine dernière, l'Italie célèbre aujourd'hui la "Journée du souvenir". Pour comprendre de quoi il s'agit il faut remonter loin dans l'histoire.
Toute la zone de Venise, Trieste, l'Istrie et la Dalmatie a depuis des siècles été le théâtre de mouvements de population. Il est extrêmement difficile de savoir qui était là d'abord et qui aurait droit à la terre. A la fin de la deuxième guerre mondiale, la situation était très compliquée, avec d'une part Tito et d'autre part les Alliés qui essayaient de conquérir le plus de territoire possible. Avec le traité de paix de 1947, la région devint "Territoire libre de Trieste", divisé en deux zones occupés par les Britanniques et le Américains -zone A- et par l'armée yougoslave -zone B.
Avec le Traité de Paris, l'Italie abandonnait les territoires de l'Istrie et de la Dalmatie, ainsi qu'une grande partie des collines autour de Trieste. Un ami me racontait que la frontière entre l'Italie et la Yougoslavie avait été tracé par un avion qui lançait des sacs de sables.
Les Italiens qui vivaient dans ces régions avaient deux choix: garder leur nationalité italienne mais partir vivre en Italie en abandonner tous leurs biens, ou rester en Yougoslavie et devenir apatride, sans droits civiques et souvent au risque de leur vie: certains Italiens de la région étaient des fascistes qui avaient opprimé les populations slaves entre les deux guerres mondiales, et les exécutions sommaires ne manquaient pas.
La journée du souvenir a été instituée pour rappeler les victimes de cette époque, qui furent jetées -encore vivante, pour certaines- dans des dépressions karstiques appelées foibe (prononcer foïbè). L'Italie, qui ne voulait pas fâcher son dangereux voisin, n'aborda pas le sujet avant la mort de Tito, en 1980.
Une grande partie de la population de Trieste est aujourd'hui composée de descendants d'esuli (exilés) qui pleure encore les richesses perdues. Les propriétés abandonnées furent considérées dédommagement de guerre par la Yougoslavie, sans pour autant que l'Italie dédommage les populations. C'est un sujet encore brulant et les manipulations politiques ne manquent pas: l'Italie a souvent tendance à minimiser les erreurs commises durant le fascisme et la deuxième guerre mondiale, la Croatie jette de l'huile sur le feu et interdit aujourd'hui encore aux italiens d'acheter une propriété sur son territoire, les Slovènes ne collaborent pas volontiers quand de nouvelles foibe sont découvertes, certains réclament de l'argent, d'autres veulent leur maison, d'autres encore voudraient que l'Istrie redevienne italienne... A l'heure de l'Union Européenne, toute la haine et la rancoeur qui règnent dans cette région me surprennent beaucoup, surtout chez les jeunes générations, et j'ai été attristée de voir aujourd'hui des drapeaux italiens en berne. Si on pense que plus de la moitié des habitants de Trieste pleurent la glorieuse époque Austro-Hongroise ou l'Istrie, on peut comprendre pourquoi cette ville manque un peu de vision du futur.
Toute la zone de Venise, Trieste, l'Istrie et la Dalmatie a depuis des siècles été le théâtre de mouvements de population. Il est extrêmement difficile de savoir qui était là d'abord et qui aurait droit à la terre. A la fin de la deuxième guerre mondiale, la situation était très compliquée, avec d'une part Tito et d'autre part les Alliés qui essayaient de conquérir le plus de territoire possible. Avec le traité de paix de 1947, la région devint "Territoire libre de Trieste", divisé en deux zones occupés par les Britanniques et le Américains -zone A- et par l'armée yougoslave -zone B.
Avec le Traité de Paris, l'Italie abandonnait les territoires de l'Istrie et de la Dalmatie, ainsi qu'une grande partie des collines autour de Trieste. Un ami me racontait que la frontière entre l'Italie et la Yougoslavie avait été tracé par un avion qui lançait des sacs de sables.
Les Italiens qui vivaient dans ces régions avaient deux choix: garder leur nationalité italienne mais partir vivre en Italie en abandonner tous leurs biens, ou rester en Yougoslavie et devenir apatride, sans droits civiques et souvent au risque de leur vie: certains Italiens de la région étaient des fascistes qui avaient opprimé les populations slaves entre les deux guerres mondiales, et les exécutions sommaires ne manquaient pas.
La journée du souvenir a été instituée pour rappeler les victimes de cette époque, qui furent jetées -encore vivante, pour certaines- dans des dépressions karstiques appelées foibe (prononcer foïbè). L'Italie, qui ne voulait pas fâcher son dangereux voisin, n'aborda pas le sujet avant la mort de Tito, en 1980.
Une grande partie de la population de Trieste est aujourd'hui composée de descendants d'esuli (exilés) qui pleure encore les richesses perdues. Les propriétés abandonnées furent considérées dédommagement de guerre par la Yougoslavie, sans pour autant que l'Italie dédommage les populations. C'est un sujet encore brulant et les manipulations politiques ne manquent pas: l'Italie a souvent tendance à minimiser les erreurs commises durant le fascisme et la deuxième guerre mondiale, la Croatie jette de l'huile sur le feu et interdit aujourd'hui encore aux italiens d'acheter une propriété sur son territoire, les Slovènes ne collaborent pas volontiers quand de nouvelles foibe sont découvertes, certains réclament de l'argent, d'autres veulent leur maison, d'autres encore voudraient que l'Istrie redevienne italienne... A l'heure de l'Union Européenne, toute la haine et la rancoeur qui règnent dans cette région me surprennent beaucoup, surtout chez les jeunes générations, et j'ai été attristée de voir aujourd'hui des drapeaux italiens en berne. Si on pense que plus de la moitié des habitants de Trieste pleurent la glorieuse époque Austro-Hongroise ou l'Istrie, on peut comprendre pourquoi cette ville manque un peu de vision du futur.
Labels: esuli, foibe, Friuli-Venezia-Giulia, giorno del ricordo, Istria, Trieste
8 Comments:
Oula... c'est pas simple comme passé, mais comme toi je suis toujours étonnée des rancunes après des générations :(
Tout ceci explique sans doute le dialecte de Trieste!
beo: le truc c'est que ça n'est pas considéré comme du passé, c'est ce qui m'impressionne le plus! Pour moi la deuxième guerre mondiale ça fait partie de l'histoire, alors que pour les gens ici ça fait partie de le vie de tous les jours.
Ne blague pas avec le triestin: hier il y a eu des fausses manchettes de journaux qui annonçaient que dorénavant il y aurait des pages du journal en Slovène, ça fait un immense scandale!
Terrible, la remontée des nationalismes partout, on dirait que c'est cyclique ou alors que la moindre crise les rallume....
C'est bizarre, j'ai grandi dans une région qui a été déchirée entre France et Allemagne durant des siècles; les parents de mes copains d'école avaient souvent dû se battre contre leurs propres frères ou cousins, enrôlés dans l'armée adverse; une bonne partie de la population avait été déplacée, Allemands installés en Lorraine pour la germaniser, Français émigrés aux 4 coins de la France pour ne pas redevenir Allemands... et Dieu sait que les horreurs n'ont pas manqué sur ce front-là non plus... Pourtant, 10 ans après la guerre, il me semble n'avoir jamais senti une telle rancoeur? Au contraire, tous (ou presque)aspiraient à "oublier", et espéraient un avenir européen, une réconciliation. Je pense que ce genre de ressentiments s'exprime davantage lorsqu'il est entretenu, soigneusement cultivé pour des fins politiques qui n'ont rien à voir avec ce qu'ont vécu toutes ces pauvres gens... Mais c'est vrai, on sent un peu ce poids à Trieste, dommage, c'est une si belle ville!
Merci pour ton lien ! Et bravo pour ton billet. Au sujet de cette période, la confusion actuelle est grande et pour ma part, j'ai bien aimé cet article La memoria delle foibe in Istria. Il me semble qu'on y remet un peu d'ordre et de vérité.
ImpasseSud
fifi: c'est sûr que c'est un sentiment qui est entretenu artificiellement: les gens lisent les journaux et oublient les faits réels. Depuis samedi les manchettes des journaux de Trieste ne parlent que de ça, avec des titres à scandale du genre "le président croate attaque le président italien", "nous empêcherons les Croates d'entrer dans l'Union Européenne" etc. D'Alema a convoqué l'ambassadeur croate, deux écoles maternelles slovènes de Trieste ont été incendiées... c'est vraiment triste.
Si on mettait bout à bout les surfaces revendiquées par les esuli on aurait une surface plus grande que l'Europe!
ImpasseSud: de rien! Merci à toi pour le lien: pour écrire mon billet j'ai fouillé sur internet et je n'ai trouvé que des articles d'Alleanza nazionale e così via... difficile des se faire une opinion. Je déteste vraiment la désinformation et la démagogie qui règnent en ce moment dans la presse italienne.
à qui profite le crime ? derrière des nationalismes locaux, il y a le plus souvent de beaucoup plus importants enjeux économiques et là ce sontles plus grands (USA, URSS ...) qui tirent les ficelles.
Merci, c'est vraiment très intéressant!
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